Sabrina Cohen Dumani, Directrice de la Fondation Nomads

Quel plaisir d’échanger avec Sabrina Cohen Dumani, Directrice de la Fondation Nomads, sur l’évolution de l’urbanisme et des acteurs de la construction dans le cadre du virage écologique et sociétal entrepris par la société tout entière. La Fondation Nomads se positionne comme un architecte d’écosystèmes et un catalyseur du changement, jouant un rôle à la fois prospectif et actif, dans la redéfinition de notions fondamentales telles que l’urbanisme, le contrat social, la mobilité et l’énergie.

A+W. Selon vous, quelles technologies et stratégies auront le plus grand impact sur la durabilité urbaine ?
Sabrina Cohen Dumani. Des approches telles que « Net Zero Cities » sont essentielles pour réduire les émissions et repenser l’aménagement urbain. À Genève, la transition énergétique occupe une place centrale dans les débats, avec des projets ambitieux tels que la géothermie et les réseaux thermiques structurants. Ces initiatives, souvent accompagnées de chantiers imposants dans des quartiers densément peuplés, offrent une opportunité unique de repenser la mobilité et la vie communautaire. En renforçant la coordination entre les parties prenantes, ces défis pourraient se transformer en opportunités, contribuant à une refonte urbaine adaptée aux besoins de 2030.

Mais, comment pourrons-nous conjuguer densité urbaine et qualité de vie dans les villes de demain ?
C’est une question cruciale. Si l’urgence climatique n’est pas prise en compte de manière proactive, nous pourrions être confrontés à des mesures drastiques, comme celles observées lors de la pandémie de Covid. Les politiques doivent encourager une planification urbaine démocratique et inclusive, tout en évitant de tomber dans des solutions autoritaires dictées par l’urgence. L’intelligence collective, impliquant citoyens, entreprises et pouvoirs publics, est la clé.

La décarbonation des bâtiments est un axe clé pour Amstein+Walthert. Pensez-vous que cette tendance va s’étendre à tout le secteur de la construction ?
Je pense que c’est déjà le cas. À Genève, la loi sur l’énergie impose des seuils très stricts pour réduire l’indice de chaleur des bâtiments. La Fondation Nomads a joué un rôle central dans l’élaboration de ce cadre réglementaire, en facilitant le dialogue entre l’État et les associations professionnelles, et contribuant ainsi à un consensus autour du Plan directeur de l’énergie. Cette approche collaborative illustre une méthode exemplaire pour concevoir des solutions durables dans le secteur.

Comment envisagez-vous le rôle des entreprises dans la transition écologique et sociale ?
La transition écologique est une responsabilité collective qui repose sur l’État, les citoyens et les entreprises. Il serait illusoire d’attendre que les entreprises agissent seules. La Fondation Nomads offre un espace neutre pour leur permettre de réfléchir, collaborer et lancer des projets systémiques qu’elles ne pourraient pas mener individuellement. Interdépendantes par nature, elles ont besoin d’outils pour travailler ensemble et générer un impact durable. Avec des incitations adaptées, notamment des subventions, ces comportements bénéfiques seront encouragés.

Comment voyez-vous l’avenir face à la question complexe de la conscience citoyenne versus la législation ?
C’est une question délicate, car elle touche à des idéaux variés. Mais je suis convaincue que lorsqu’un être humain évolue dans un environnement où ses besoins fondamentaux sont satisfaits, il s’épanouit naturellement. La véritable loi qui régit notre existence n’est pas celle de la jungle, mais celle de l’entraide. Les biologistes l’ont démontré : la vie se construit sur la coopération. Aujourd’hui, le problème réside dans la pression constante qui nous pousse à adopter une logique de compétitivité destructrice. Mon espoir est que nous puissions collectivement ralentir et revenir à une logique d’entraide, retrouvant ainsi nos potentiels sociaux naturels.

Vous parlez de ralentir ensemble, mais comment intégrer les avancées technologiques, telles que l’intelligence artificielle et la robotisation, dans cette vision d’entraide ?
Nous vivons un tournant de l’aventure humaine, avec le développement des intelligences artificielles, notamment les AGI (Intelligences Artificielles Générales) qui sont capables de s’autogénérer. Nous avons encore le contrôle sur ces technologies, mais dans un avenir proche, elles pourraient funestement échapper à notre maîtrise. Imaginez des IA qui prennent le contrôle de nos infrastructures et ne nous laissent plus la possibilité de les éteindre. Ce scénario est un vrai risque, surtout sans une gouvernance mondiale solide, qui reste insuffisante aujourd’hui. Mais il y a des initiatives, comme l’AI Act de l’Union européenne, qui classe les intelligences artificielles en fonction de leur impact, avec des régulations strictes en conséquence. C’est une première étape importante pour encadrer ces technologies et éviter qu’elles ne nous prennent de vitesse.

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises de la construction pour anticiper les évolutions à venir ?
Investir dans le capital humain est fondamental. D’ici cinq à dix ans, les entreprises ayant intégré la formation continue à leur stratégie disposeront d’un avantage décisif. La main-d’œuvre constitue la véritable richesse de l’entreprise. Il est donc crucial d’impliquer tous les employés, à chaque niveau hiérarchique, dans les objectifs de durabilité et d’intelligence organisationnelle. Le développement des compétences doit s’inscrire dans un processus permanent, intégré au quotidien de l’entreprise et tout au long de la carrière de chaque collaborateur.

Vous soulignez l’importance de l’accompagnement constant des employés, mais comment cela pourrait-il se traduire concrètement ?
Un modèle intéressant serait d’intégrer des microcertifications directement dans le cadre du travail. Par exemple, permettre à un employé de consacrer une heure par jour ou deux heures tous les deux jours à se former, pendant ses heures de travail. Cette approche, appréciée des jeunes générations, favorise la synergie entre travail et apprentissage. Cela impliquerait de passer d’une logique de simple promotion de carrière à une véritable culture d’apprentissage continu. Les entreprises doivent devenir des « organisations apprenantes » et prendre cette responsabilité au sérieux, car l’obsolescence des compétences représente l’un des risques majeurs pour l’avenir.

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